L’enseignement obligatoire : laboratoire des inégalités sociales

L’enseignement obligatoire : laboratoire des inégalités sociales
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Inès est une élève exclue de l’Athénée Royal d’Ixelles. Son tort : avoir insulté son enseignante sur un live TikTok pendant les cours. Bien qu’elle reconnaisse ses erreurs, son témoignage remet en question l’autoritarisme de l’enseignement obligatoire.

L’Union Syndicale Étudiante (USE) s’inquiète de la situation de l’Athénée Royale d’Ixelles. Au début du mois d’octobre, une altercation verbale entre une prof et une élève a escaladé jusqu’à l’exclusion définitive d’Inès, qui a souhaité témoigner. Désormais, elle voit sa santé mentale se (re)dégrader, et est exposée à un haut risque de décrochage scolaire (situation qu’elle a déjà traversé malgré son jeune âge). Par ce témoignage, cet article compte mettre en évidence des vécus souvent invisibilisés. Cela sera l’occasion d’explorer quelques failles du système actuel et d’ouvrir la réflexion sur « ce à quoi devrait ressembler l’enseignement ».

Le 13 septembre, Inès rejoignait l’Athénée Royale d’Ixelles pour continuer son cursus d’enseignement général. Dès son inscription, le directeur, connu pour trier les tenues des élèves qui arrivent le matin, a tout fait pour montrer qui était le patron. De fait, il a imposé une relation autoritaire avec la nouvelle élève : « Même si on te manque de respect, tu dois te taire ». Ce même directeur n’a pas manqué de culpabiliser notre témoin devant sa propre mère (qui la soutient et s’est sentie autant humiliée): d’après lui, la dépression et les problèmes familiaux ne seraient en aucun cas une excuse pour être en décrochage scolaire. Malgré ces humiliations, la direction réclamait de la reconnaissance, sous prétexte qu’elle aurait pu refuser l’inscription. Dit plus froidement, notre témoin devait se soumettre dans la gratitude. Inès assume ne pas être une élève facile, mais revendique le droit au respect et à une éducation de qualité. Après son inscription, le bilan était plutôt positif : « Je m’entendais très bien avec les profs. Même si certains étaient très autoritaires, c’est surtout le manque de respect je ne le tolère pas », nous envoie-t-elle par message.

Deux semaines plus tard, le 27 septembre, une enseignante de chimie perd le contrôle de sa classe et décide d’avancer seule dans la matière. Lorsque notre témoin a demandé de revenir en arrière, elle s’est fait traiter de princesse par sa prof (qui s'est permis un signe de la main lui exhortant de se taire). Pendant ce temps, Inès était en live sur le réseau social TikTok, et suivie en direct par les enfants de la prof. Celles-ci ont rapporté à leur mère qu’elle s’était faite insulter durant le live, provoquant ainsi une escalade interpersonnelle empreinte de violences, qui s’est étalé sur plusieurs jours et qui a abouti à des menaces de violences réciproques. Par un enregistrement téléphonique, nous entendons cette prof promettre qu’elle « allait la traîner par les cheveux devant le tribunal ».

La situation est devenue vite complexe, et la direction a uniquement pris le parti de l'enseignante. Plutôt que connaître une sanction pédagogique, l’élève a reçu unilatéralement la sanction disciplinaire la plus lourde : le renvoi définitif. Le lendemain, Inès n’était plus une élève de l’Athénée Royal d’Ixelles. Au vu du contexte, l'asymétrie de pouvoir est flagrante. La Justice, malgré les quelques services de base, est contaminée par les inégalités économiques: à aucun moment l’élève n’a accédé à un intermédiaire qualifié, à une médiation neutre qui lui permette d’être respectée et d’être écoutée attentivement. De par le cadre imposé par la direction, toute revendication d’Inès était disqualifiée par défaut. Et si l’école a pu se "débarrasser" d’elle, il n’échappera à personne que le problème n’a pas disparu : il a été étouffé. D’après Inès, les personnes racisées sont particulièrement exposées à ces procédures. Par manque d’ambition, la patate chaude est jetée au hasard, et cette fois, c’est elle qui en paye les frais.

Attardons-nous désormais sur une analyse plus politique de ce témoignage, développée en trois points.

1) Pour un enseignement pour tous.tes

Précisons d’abord que le système éducatif n’est pas, ou du moins ne devrait pas être qu’une somme d’écoles indépendantes qui peuvent accepter ou refuser l’accès à leurs services comme des organisations privées. Naturellement, il se peut toujours que le changement d’un établissement à un autre soit une solution de dernier recours, mais il y a une responsabilité collective selon laquelle aucun.e jeune ne devrait se trouver sans école. Cela implique des procédures bien plus développées que celles qui ont été entreprises jusqu’à présent, et nous ne doutons pas que l’absence de soutien institutionnel participe de la déscolarisation des élèves les plus exposé.es.

2) Pour un enseignement adapté aux besoins de chacun.e et en dialogue avec les réalités extra-scolaires des élèves (des parents et des professeur.es)

Rappelez-vous, nous avons parlé du mépris de la direction pour les problèmes que rencontrent ses élèves, du moins pour les difficultés qui ne sont pas liées à l’établissement. Sauf que la société ne s’arrête à l’entrée de l’école!  Faire comme si tout se passait bien à l’extérieur revient à nier les besoins spécifiques des élèves et à privilégier, de fait, les élèves déjà privilégiés (qui ont des familles fonctionnelles, sans drame majeur, sans problèmes économiques, etc.). Nous voyons dans ce comportement les traces d’un élitisme déplacé et reproductif des rapports sociaux inégalitaires.

Ajoutons à cela que les jeunes ne devraient jamais être tenu.es responsables de leur propre décrochage scolaire, et que la voie de l’autoritarisme (comme l’a utilisé la direction de l’A.R. d’Ixelles) n’est en aucun cas une solution pour la réintégration de ces jeunes. Les adultes n’ont qu’à bien se tenir, car c’est nous, élèves et étudiant.es, qui subissons de plein fouet la mauvaise gestion de l’enseignement. Cela ne nous empêche pas d’exprimer notre solidarité avec les profs mal payé.es, mal formé.es et en sous-effectifs. Justement, celleux qui souhaitent sincèrement que l’éducation soit émancipatrice, devraient comprendre et tout mettre en œuvre pour protéger la jeunesse des mécanismes psycho-sociaux qui les marginalisent et les stigmatisent. À ce niveau il y a une responsabilité partagée entre les pouvoirs politiques et les établissements scolaires. Au vu de la situation, nous estimons que la direction de l’A.R. d’Ixelles a été plus que passive : elle a fait activement obstacle à la formation d’une étudiante et elle a nui à sa santé mentale.

3) Pour une réflexion collective sur un enseignement non-autoritaire

En effet, malgré les charges contre la direction de l’Athénée Royale d’Ixelles, cet article n’a pas vocation à faire des attaques ad personam, mais cherche bien à identifier et à faire ressortir les racines d’un problème plus structurel. Selon nous, le rapport d’autorité attribué aux profs par l’État n’est pas si facile à maintenir sur le terrain. En dehors des statuts théoriques, ces profs doivent individuellement conquérir une forme de légitimité vis-à-vis des élèves afin de donner cours dans de bonnes conditions. S’iels échouent à cette tâche, iels peuvent abandonner ou maintenir leur autorité par la « peur ». Il est vrai que des moyens coercitifs pour punir les récalcitrant.es sont inscrits dans le marbre des Règlements d’Ordre Intérieur (ROI), eux-mêmes défendus par la loi belge. Bref, la condition de professeur.e est particulière : à cheval entre, d’une part, la légitimité conquise par le respect mutuel et, d’autre part, le pouvoir coercitif conféré par l’État. Notre position est claire : un enseignement de qualité doit pouvoir fonctionner uniquement grâce au respect mutuel. Ce n’est pas pour nous une vaine promesse, mais une mise en pratique quotidienne des principes anti-autoritaires: le respect, tu l’exiges donc tu l’appliques !

En conclusion, l’expérience d’Inès à l’Athénée Royale d’Ixelles est à nos yeux un cuisant échec pour le système éducatif belge. Contre les « marginales.aux », l’État soutient les directeurs, qui soutiennent leurs profs, qui sont parfois soutenus par d’autres élèves ! Nous sommes particulièrement dégouté.es par ces individus qui perdu de vue les objectifs émancipateurs de l’enseignement et qui n’ont aucune considération pour les familles en difficulté. Ou qui feront le minimum, tant que leur réputation tient. L’organisation particulièrement hiérarchique de l’enseignement accentue les injustices subies et permet d’étouffer facilement des scandales (entre autres lorsqu’ils concernent le racisme et le sexisme). Nous refusons de réduire à des « faits divers » les vies brisées par ce système, et appelons à une prise de conscience et des actions concrètes.

Luttons pour un enseignement vraiment pour tous.tes, adapté aux besoins de chacun.e et radicalement anti-autoritaire !