Les médias préfèrent jeter l’opprobre que de lancer un débat sérieux sur les politiques israéliennes

Les médias préfèrent jeter l’opprobre que de lancer un débat sérieux sur les politiques israéliennes

Par Thibault S., étudiant à l'ULB[1].

Que s’est-il passé ce mercredi 04 mars sur l’avenue Paul Héger au cœur de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) ? Le cercle Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) manifestait dans le cadre de l’Israeli Apartheid Week et dénonçait les dérives sécuritaires, militaires et politiques du gouvernement israélien. À cette occasion, un faux mur a été dressé au milieu de l’avenue pour symboliser la ségrégation orchestrée par l’État d’Israël avec son mur de séparation et l’occupation des Territoires Palestiniens. On chantait des slogans et on tentait de conscientiser les étudiants à la question palestinienne. Pas un mot sur les juifs. Ceux qui étaient visés ce sont les élites politiques israéliennes et tous les défenseurs de l’état d’exception permanent qu’on impose aux palestiniens. Pas de messages de haine mais un discours politique, argumenté et construit : la politique israélienne est une politique d’apartheid qui se base sur le contrôle d’un peuple entier, lui vole sa terre, le réduit à la misère, lui apprend à haïr, refuse toutes les tentatives de règlement pacifique de la situation.

Or, ce mercredi, l’Union des Étudiants Juifs de Belgique (UEJB), organisation connue pour son engagement pro-israélien, faisait les cent pas autour du rassemblement ; ils filmaient les militants en action. C’est parfaitement leur droit, et pour ceux qui ne sont pas familiers avec les manifestations pro ou anti-israélienne, il s’agit d’une habitude. Quand un camp manifeste, l’autre est systématiquement présent pour se rappeler à son bon souvenir. À un certain moment, les étudiants du cercle BDS ont lancé le slogan « Sioniste ! Fascistes ! C’est vous les terroristes ! ». Là encore rien d’étonnant, puisqu’il s’agit d’une position politique qui renverse la propagande pro-israélienne en dénonçant les politiques répressives de l’État d’Israël (apparentées au fascisme) et le sionisme entendu comme un projet politique dont la finalité est un Grand Israël couvrant toute la Palestine.

Et voilà que ce jeudi 05 mars, les médias belges lancent une véritable offensive anti-BDS, arguant qu’un groupe d’étudiants juifs a été insulté par les membres du cercle BDS parce qu’ils étaient juifs. Ce qui est vraiment affligeant, c’est que les journalistes qui disposent pourtant d’une vidéo réalisée par l’UEJB, ne précisent jamais que les étudiants pris à partie sont tous membres de cette organisation et que c’est pour cette raison et cette raison seulement que le slogan leur était destiné. La scène si mal décrite par Le Soir et La Libre (d’après le seul témoignage de l’UEJB sans que BDS ait pu donner sa version des faits) n’est rien d’autre qu’une scène d’affrontement entre deux forces politiques, pro et anti-israélienne. Si l’UEJB défend les politiques israéliennes pourquoi ne pas la condamner de la même manière que les partis politiques ou les intellectuels européens qui défendent les politiques anti-humanistes de l’État d’Israël ?
Comme d’habitude, les pro-israéliens savent qu’ils perdront le combat sur le terrain des idées parce que la froideur dont ils font preuve pour le sort des Palestiniens et l’ampleur de la répression sont si grandes que peu de gens peuvent rester insensibles. L’UEJB a donc, peut-être inconsciemment, usé de cette technique de déstabilisation qui consiste à diaboliser son ennemi et à considérer que tous ceux qui sont contre les politiques israéliennes sont forcément antisémites. L’UEJB applique de la sorte le même type de procédé qu’il conspue chez les autres : elle essentialise ses contradicteurs et les renvoie à leur « nature » supposée ; il nie en même temps le combat des très nombreux juifs qui, attachés ou non à Israël, combattent du côté des Palestiniens parce qu’ils croient que la justice est plus importante qu’une supposée solidarité politique ou religieuse.

Ce qui est terrible dans cette histoire, c’est que les médias ont été instrumentalisés de manière incroyablement grossière sans que personne, au moment où j’écris ses lignes, ne réagisse. En quoi les mots « fascistes » et « terroristes » peuvent-ils être considérés comme antisémites ? Est-il interdit de dire : « oui, il y a des groupes terroristes en Palestine, comme le Hamas, qui se sert de la peur pour mener à bien sa prise du pouvoir à Gaza, et oui il y a un État terroriste, dans le sens littéral du terme, qui engendre la terreur, qui généralise la terreur ; cet État est celui d’Israël et chaque jour, chaque semaine, il insinue la peur chez les Palestiniens, peur de mourir sous un bombardement, peur de mourir de faim, peur de voir ses enfants grandir dans un gigantesque ghetto entouré de soldats, de barbelés et de miradors . » ?

Pour le concept de « sionisme » c’est un peu plus compliqué parce que tout le monde use d’une définition différente et que l’extrême droite et des gens comme Soral se sont faits une spécialité d’en faire un synonyme du mot « juif ». Nous rejetons cette équivalence ! Nous rejetons toutes les formes de racisme et de stigmatisation, nous rejetons la haine et l’institutionnalisation de la haine. Pour les pro-palestiniens le sionisme est un projet politique contemporain qui est au cœur de la rhétorique belliciste et raciste d’un Netanyahou ou d’un Avidgor Liberman (pour rappel l’extrême droite était encore au pouvoir il y a peu en Israël puisque le parti Israel Beytenou faisait partie de la coalition au pouvoir). Lutter contre le sionisme ne veut pas dire lutter pour la destruction de l’État d’Israël – et même si sur cette question les militants pro-palestiniens divergent certains voulant instaurer un État multi-national alors que d’autres privilégient la solution des deux États, il n’a jamais été question de faire souffrir ou d’exterminer la population israélienne. Toutes les personnes se prétendant pro-palestiniennes mais qui se font les hérauts de la détestation des juifs sont nos ennemis au même titre que les pro-israéliens ! Au final, l’automatisme « sionisme = antisémitisme » sert uniquement les pro-israéliens fanatiques qui peuvent crier au crime antisémite dès qu’ils sont à court d’arguments. Comme à l’ULB où le travail de BDS et d’autres cercles politiques et culturels sur la question palestinienne est irréprochable !

Je pourrais reprendre une à une les erreurs et les omissions présentes dans les articles journalistiques traitant de cet événement mais je n’en ai pas le courage. Cela m’attriste profondément que des personnes travestissent ainsi la vérité pour servir les fins politiques des thuriféraires pro-israéliens. Le débat d’idée, le débat de fond est celui qui souffre le plus de cette situation puisqu’au lieu de nous affronter avec des arguments, nos adversaires préfèrent les coups bas et les mensonges. Nous savons pertinemment que cette manœuvre a pour objectif final de faire interdire le cercle BDS à l’ULB. Nous savons que les autorités ont toujours été embarrassées par la reconnaissance du cercle. Voici un message adressé à tous ceux qui veulent en finir avec le camp pro-palestinien : nous défendrons notre cause, nous défendrons tous les opprimés et en particulier ceux qui se sont victimes du terrorisme d’État, nous défendrons le droit des Palestiniens à déterminer eux-mêmes leur destin. Surtout : nous défendrons le cercle BDS contre toutes décisions qui se baseraient sur ces rumeurs infamantes et infectes.

[Ajout suite à la réunion au rectorat entre BDS et l’UEJB] : les autorités ont choisi la voie de la négociation et l’apaisement. On peut comprendre qu’une plus grosse polémique aurait nui à l’image de l’Université, image qui devient l’un des seuls moteurs des politiques académiques. Au final, le recteur reconnaît, même implicitement, qu’il n’y a pas eu d’acte antisémite puisqu’il parle pour BDS de « maladresses » et pour l’UEJB de « sur-interprétations ». Mais ce qui est incompréhensible c’est que les médias persistent et continuent d’évoquer « l’événement » comme un « dérapage antisémite » et de parler « d’étudiants juifs invectivés » alors que l’UEJB a bien reconnu être à l’origine de la vidéo et l’avoir montée de manière partiale. Les médias participent à la relativisation du terme « antisémite » en agissant de la sorte ; ils le déforcent en l’utilisant dans un mauvais contexte et parce qu’ils refusent de reconnaître leurs torts. Surtout, ils inscrivent dans le marbre une tache diffamante pour le cercle BDS et permettent à des gens, dans l’avenir, d’accuser le cercle d’avoir commis un « dérapage » qui n’a tout simplement pas existé.


  1. Les articles de la catégorie « Billet d’humeur » n’engagent que leurs auteurs et ne sont pas des déclarations publiques, officielles et collectives, de l’Union syndicale étudiante. L’Union syndicale étudiante diffuse sur son site l’avis d’étudiants militants qui souhaitent susciter des débats au sein de la gauche étudiante, à l’intérieur autant qu’à l’extérieur de l’USE. ↩︎