Répression policière au Québec : quel avenir pour la contestation dans les universités ?
Par Thibault S., étudiant à l'ULB[1].
Des dizaines de policiers anti-émeutes suréquipés qui parcourent les couloirs d’une université pour arrêter des étudiants grévistes. Une autre escouade qui tire des gaz lacrymogènes pour briser l’occupation d’un bâtiment universitaire. Ces scènes ne nous viennent pas d’une dictature ou d’un film d’action ; elles ont eu lieu hier au Québec.
Pourquoi ? Parce des injonctions de la justice québécoise rendent de facto la grève illégale – elles empêchent les étudiants de faire respecter la levée des cours. La grève est pourtant décidée par des votes en Assemblées Générales dans chaque faculté, tout le monde peut participer aux votes (plusieurs fois dans le mouvement québécois la majorité des étudiants a basculé en défaveur de la grève) mais les autorités universitaires et une ultra-minorité d’étudiants (les « verts ») ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux les cours doivent se tenir coûte que coûte. Ils pénalisent du coup les étudiants grévistes puisqu’ils ne reçoivent pas le même enseignement que les non-grévistes. Le résultat de leur position jusqu’au-boutiste et antidémocratique est tombée hier, mercredi 8 avril, sous la forme d’une intervention de masse des forces anti-émeutes à l’UQAM (Université du Québec À Montréal). Une vingtaine d’étudiants ont été arrêtés dans les couloirs de l’université et mis en garde à vue. Ces arrestations sont politiques et s’apparentent ni plus ni moins qu’à une atteinte fondamentale du droit de grève.
La réaction des étudiants ne s’est pas fait attendre : quelques heures après les arrestations, une assemblée décide d’occuper l’université en signe de protestation. Le recteur reste droit dans ses bottes et prévient : il appellera de nouveau la police anti-émeute s’il le faut. Pendant la soirée, l’occupation s’organise : on installe des lits et une cuisine improvisée. Les étudiants se réapproprient l’UQAM. Les caméras de surveillance, symboles de la répression individuelle, sont arrachées et les murs sont décorés avec des graffitis. Aux entrées, les barricades se lèvent. La suite est encore un peu floue au moment où j’écris ces lignes : les policiers, qui patrouillaient à l’extérieur et fermaient les accès à l’université, semblent avoir à nouveau pénétré sur le campus en détruisant une vitre blindée pour se frayer un passage. Des lacrymogènes auraient été lancés et cinq nouvelles personnes arrêtées à l’heure qu’il est. L’occupation a été brisée, encore une fois, par la violence. L’UQAM peut être désormais considérée comme une université policière qui jette les forces anti-émeutes sur ses étudiants. Cette situation dépasse le seul respect du droit de grève, elle s’apparente à l’émergence d’une société autoritaire !
Le printemps fleurit
Il faut revenir un peu en arrière pour comprendre le contexte, de plus en plus tendu, qui entoure le mouvement contre l’austérité au Québec. En 2012, les étudiants se soulèvent contre la hausse des frais d’inscription (minerval) et les images du Printemps Érable font le tour du monde. Le bras de fer entre les syndicats étudiants et le gouvernement dure plus de huit mois, aboutit à la démission d’une ministre de l’éducation et, finalement, à la défaite du Parti Libéral (droite) aux élections législatives. Le nouveau gouvernement, issu des rangs du Parti Québécois (centre relativement social), renonce à l’augmentation mais indexe tout de même les taux d’inscription. Et puis, l’année dernière, de nouvelles législatives ramènent les libéraux au pouvoir. L’austérité est cette fois imposée à tous les secteurs de la société, c’est une véritable hécatombe sociale qui s’annonce.
Voilà comment le mouvement actuel est né : le collectif Printemps 2015 et l’Assé (syndicat étudiant de gauche autogestionnaire) ont lancé un appel à la grève qui a réuni, à son paroxysme 130.000 étudiants et 75.000 manifestants dans les rues de Montréal. À nouveau les manifestations sont quotidiennes, hebdomadaires, thématiques, sans tracé… À nouveau créativité rime avec actions sociales, l’art se mêle à la stratégie et à l’action, le Québec retrouve ses joyeux airs de 2012. Le printemps s’annonce chaud. Mais quelque chose a changé depuis la dernière vague de contestation : la législation a été sévèrement durcie. Il est désormais interdit de manifester sans accord municipal ou de se masquer le visage ; les policiers ont mis au point des moyens de pression qui frisent la provocation comme suivre, par groupe de vingt, une manifestation avant de la traverser de part en part. L’utilisation massive d’armes de « contrôle des foules » – type canon à lacrymogènes – a militarisé la police et le nombre d’étudiants blessés est de plus en plus important. Surtout, dans les universités, des injonctions sont accordées par la justice aux casseurs de grève pour obliger la tenue des cours (peu importe le nombre d’étudiants ou les votes démocratiques). Les autorités de l’UQAM ont également choisi de sanctionner la politisation estudiantine en renvoyant une dizaine de syndicalistes notoires pour des faits remontants à plusieurs mois. Les grévistes faisant respecter la levée des cours sont donc obligés de se masquer pour éviter les sanctions individuelles, faisant monter la tension avec les non-grévistes et les services de sécurité, jusqu’à produire l’incident d’hier.
Le mouvement actuel n’est pas qu’un mouvement étudiant, c’est beaucoup plus que ça. L’Assé et de nombreuses associations ont compris que l’austérité pour tous était un mur dans lequel s’échine à foncer les gouvernements de droite et de gauche en Occident ; ils ne se battent pas pour les seuls intérêts des étudiants mais pour ceux de la société tout entière. Ils se battent parce qu’ils ont une idée du bien commun. Alors que le parti au pouvoir, les autorités universitaires et les médias leur sont majoritairement défavorables, ils ont réussi à faire descendre des milliers de personnes dans la rue et à mettre en grève plus de 100.000 étudiants. Et ils ont reçu pour toute réponse des coups de matraques et de boucliers. Cette réaction, elle non plus, n’est pas anodine. C’est l’incarnation de la dérive de nos sociétés vers l’autoritarisme où les impératifs de « sécurité » l’emportent sur la liberté et l’égalité.
Contre la répression, unissons-nous
Cette scène surréaliste qui vient d’arriver à l’UQAM – la police envahissant un campus – n’a été désamorcée que parce que les professeurs se sont interposés et ont soutenu les étudiants. Le corps professoral, justement, est en train de se radicaliser de plus en plus à cause de la répression policière. D’après les informations que j’ai pu glaner, le cassage de l’occupation aurait, lui aussi, été très violent. Il faut espérer que demain, les citoyens québécois réagiront à cette flambée de répression et qu’ils enverront un message fort à leur gouvernement.
Que pouvons-nous faire de ce côté de l’océan ? Déjà, assurer nos camarades étudiants de notre soutien indéfectible. Ce qui est en train de se passer au Québec arrivera chez nous un jour ou l’autre, c’est le destin de toutes les contestations sous l’ordre libéral-austéritaire. À l’Université Libre de Bruxelles (ULB), nous avons déjà vu les autorités appeler la police pour disperser des manifestants qui refusaient que les administrateurs fuient lâchement le campus pour voter une réforme des statuts de l’université. Même s’il s’agit d’un succédané comparé aux méthodes québécoises, c’était pour nous un avant-goût. La répression au Québec est aussi une image de l’avenir du droit de grève en général : qu’est-ce qui empêchera nos gouvernements d’envoyer bientôt des officiers armés casser les piquets et forcer la reprise du travail ?
Étudiants de l’UQAM, étudiants du Québec, nous sommes à vos côtés et nous ferons tout pour que votre combat soit médiatisé chez nous, qu’il n’y ait pas de paix ici tant qu’il n’y a pas de paix chez vous. L’Union Syndicale Étudiante appelle déjà au boycott des relations avec l’UQAM pour soutenir les étudiants expulsés ; je propose que nous passions à la vitesse supérieure ! Une université qui envoie la police anti-émeute casser une grève, arrêter des étudiants, envahir une occupation pacifique et instiller la peur ne mérite pas le rang d’université. Ces autorités méprisent le rôle émancipateur du savoir ; ils préfèrent briser des crânes que les remplir. Que tous ceux qui lisent ses lignes nous rejoignent et réclament l’arrêt des relations entre universités belges et l’UQAM et tous les établissements qui refuseront de se plier au droit de grève des étudiants.
Sachez étudiants de l’UQAM, de l’Assé ou non, qu’ici en Belgique, nous vous écoutons, nous lisons vos publications, nous suivons vos actions. Votre mouvement est l’une des lumières qui donne de l’espoir à notre vieux continent ; chacune de vos manifestations est un cri qui traverse le globe : à nous la rue ! À bas l’austérité et vive l’égalité ! Les échos de votre combat résonnent à Amsterdam où on occupe aussi une université ; ils résonnaient en Italie où les étudiants défilaient par milliers pour défendre leurs droits. Ils résonnent en Belgique où nos frais de scolarité augmenteront selon toute vraisemblance l’an prochain. Votre combat est notre combat. N’abandonnez pas, ne cédez pas à la peur. Ne leur faites pas ce cadeau. Le monde vous regarde.
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