Sale temps pour les grévistes : Des vacances de la SNCB aux drones stroboscopiques

Sale temps pour les grévistes : Des vacances de la SNCB aux drones stroboscopiques

Par M.F.[1]

La CGSP et ACOD ayant appelé à la grève à la SNCB ce lundi 30 juin 2014, plus aucun train ne roule dans le pays. L’occasion de revenir avec légèreté sur ces cheminots « qui nous prennent en otage » et sur les moyens employés pour en venir à bout.

Comme il n’est jamais facile de saisir les tenants et les aboutissants d’un tel mouvement, commençons par analyser la situation (presque-imaginaire) d’un travailleur de la SNCB en suivant la semaine de S., conducteur de train, marié et père deux enfants.

Le lundi, S. conduit le premier train reliant Charleroi à Bruxelles dont le départ est annoncé à 4h36, ce qui l’amène à se lever à 2h30 pour commencer son service dès 3h30. Heureusement, S. finit tôt et peut profiter de sa vie de famille, après sa dure journée de travail. Mais pour atteindre ses 8h de sommeil recommandé pour pouvoir se concentrer en conduisant un train de plusieurs dizaines de personnes, S. doit se coucher à 18h30. Mais qu’importe ! Il devient rare de nos jours de pouvoir aller chercher ses enfants à la sortie de l’école et S. serait bien ingrat d’oser s’en plaindre.

Mais revenons à notre départ de la gare de Charleroi-Sud. S. est confortablement assis face à sa console et entame sa journée de 10h avec bonne humeur. Car, oui, en théorie, la journée de travail à la SNCB ne peut dépasser les 9 petites heures réglementaires mais malheureusement, N. – un collègue de S. – a eu la mauvaise idée de tomber malade. Et comme, pour faire des économies, il n’y a pas de conducteur pour le remplacer… Mais trêve de minauderies, on n’en est pas à une heure près ! Donc, S. est confortablement assis et file à bonne allure vers Bruxelles. Malheureusement, une nappe de brouillard – on est en Belgique – s’abat sur le Hainaut et complique un peu le trajet de S. En effet, rouler avec une visibilité inférieure à 100 mètres et en sachant qu’il faut à un train lancé à 160 km/h plus de 900 mètres pour s’arrêter, il y a de quoi un peu s’inquiéter. S. ralentit donc un peu, ce qui engendre quelques minutes de retard en gare de Nivelles. Les voyageurs qui attendent sur les quais se sont levés tôt et certains trépignent déjà d’une impatience bien compréhensible en calculant qu’ils rateront leur correspondance. S. le voit bien et ne peut s’empêcher de s’en vouloir, d’autant plus que sa direction va légitimement le réprimander de ce retard aux conséquences catastrophiques sur les statistiques de la SNCB.

Une fois les passagers embarqués, S. reprend sa route et tente de rattraper les minutes perdues maintenant que le brouillard est derrière lui. C’est à ce moment qu’il se rappelle l’accident qu’il a vécu l’année passée en renversant une personne traversant les voies. Mais bon, avec 95 suicides sur les voies (soit environ deux par semaines) et 9 morts lors d’accidents en 2013, il faut bien vivre avec car tous les conducteurs y passeront un jour ou l’autre… S. continue donc sa route à vive allure et parvient à rattraper son retard, au plus grand plaisir des passagers.

Une fois tout le monde arrivé à bon port, S. rejoint le train qu’il doit à présent conduire, à destination de Dinant. Arrivé à Namur, il doit scinder le train en deux : une partie du train va à Dinant, l’autre à Liers. Pour opérer cette scission, effectuer les tests de sécurité et repartir, il dispose d’exactement trois minutes. S. aimerait aller aux toilettes mais il n’a malheureusement pas le temps (à moins de mettre tout le train en retard), cela attendra !
A 13h30, S. finit son service et va prendre un repos bien mérité (après s’être jeté aux toilettes), sachant qu’il devra se réveiller à 2h30 toute la semaine. Heureusement, les week-ends, le train ne part qu’à 5h40 et il peut se lever une heure plus tard ! Oui, car – toujours pour faire des économies – le manque de personnel empêche S. de prendre son week-end ou ses vacances. Depuis 2011, le nombre de travailleurs de la SNCB est passé de 38.000 à 34.000 et près de la moitié des travailleurs actuels auront atteint l’âge de la retraite dans dix ans. Heureusement, la SNCB recrute ! Enfin, 1.500 personnes en 2014 pour 3.000 qui partent à la retraite… Avec finalement quel résultat ? Un million de jours de congé à récupérer pour les travailleurs de la SNCB et impossibles à prendre car personne n’est là pour les remplacer. Trouvant un peu fort de ne pas pouvoir prendre ses congés cet été, S. a donc décidé de participer à la grève du 30 juin 2014.

Mais qu’est-ce que « faire grève » va impliquer pour S. ? Avant tout, une perte de salaire. En effet, S. ne travaillant pas, il ne touche pas de rémunération. Son syndicat lui versera bien une indemnité de grève mais cela ne compensera pas ce qu’il aurait gagné en allant travaillant. Mais ne soyons pas bassement matériel et continuons notre tour des conséquences ! Car il y aura aussi le mécontentement de la rue (je n’aimerais pas être accompagnateur de train le jour suivant la grève). Tous ces gens qui travaillent dur et que l’on empêche de se rendre au bureau ou que l’on force à prendre la voiture pour se retrouver dans d’interminables embouteillages causés par les grévistes (puisqu’ils forcent les gens à prendre la voiture, ce qui crée des embouteillages, vous suivez ?). Et puis, même si les grévistes ont attendu le début des vacances pour minimiser les désagréments, les vacanciers sont touchés aussi ! Oui, S. devra supporter les doléances des vacanciers lorsque lui-même fait grève pour pouvoir prendre les vacances auxquelles il a droit. Dur, dur…

Mais ne soyons pas médisants, nombreux seront les citoyens (navetteurs) du Royaume à comprendre les revendications des grévistes. Toutefois, ceux-ci s’écartant du droit chemin, les médias et les politiques sont là pour leur rappeler que la grève, c’est mal. Et « qu’on ne laissera pas passer cela comme ça », comme le précise Jo Cornu, administrateur délégué de la SNCB. Pour étayer ces propos, prenons l’exemple récent de la grève à la SNCF outre-Quiévrain. Le Premier Ministre (socialiste) Manuel Valls nous rappelle à quel point cette grève est « irresponsable » tandis qu’Eric Woerth, député UMP (droite) et ancien Ministre du Budget du quinquennat Sarkozy, fait une délicieuse comparaison sur Twitter entre syndicats et talibans (que Béatrice Delvaux du Soir se presse de reprendre à son compte après le rejet par les organisations syndicales des conclusions du rapport de la « Commission pensions 2020-2040 »). Et en Belgique ? Charles Michel (MR) nous amusait en 2012 avec son paradoxal : « Nous ne nions pas le droit de grève, mais nous appelons les syndicats à faire preuve d’imagination en trouvant d’autres moyens d’action qui ne mettent pas en péril le confort des utilisateurs du rail ». Le traitement par les médias de la grève de la fonction publique du 22 décembre 2011 suite à l’accord de gouvernement Di Rupo n’a pas non plus dérogé à la règle. Ainsi, la Libre Belgique titre le 21 décembre : « Jeudi noir » sur fond noir avec en page intérieure « L’enfer des voyageurs a commencé ». Bigre, ça fait froid dans le dos. Le Soir n’est pas en reste pour nous rappeler l’inutilité des grèves face à l’inéluctable marche des réformes avec en une le 23 décembre : « Dossier pensions : une grève pour rien », titre également repris par la DH Les Sports. Le meilleur pour la fin avec Moustique cette même semaine: « Faut-il virer les syndicats ? Après les grèves, la dure réalité et qui pour nous défendre ? ». Eh bien, il reste à espérer que S. ne lit pas les journaux…

N’oublions pas qu’en plus de paralyser le pays, voire de le « prendre en otage », une grève peut dégénérer (et mener à une vraie prise d’otage cette fois-ci) si de dangereux énergumènes comme S. se mettent à séquestrer les patrons. Heureusement, la firme Desert Wolf propose un nouvel outil destiné à gérer les manifestations et les grèves : le Skunk Riot Control Copter – ça en jette, hein ! Bon, « skunk », ça veut dire « putois », c’est vrai, mais attendez la suite. Avec ses quatre canons projetant chacun par air comprimé 20 billes de paint ball à la seconde, ce drone équipé de 7 hélices marquera les grévistes qui sont armés (en rouge) et qui commettent des actes de vandalisme (en bleu) afin qu’ils puissent ensuite être arrêtés par les forces de l’ordre et jugés pour leurs crimes. Il peut également tirer des balles en plastique ou des munitions au poivre si les grévistes tentent de séquestrer les cadres de l’entreprise, action pouvant mener à une « Life threatening situation » (sic). Enfin, il est équipé d’une caméra thermique full HD et en couleur transmettant les données à un opérateur en direct, de lasers aveuglants de type stroboscopique et de haut-parleurs pour s’adresser à la foule. A ce jour, seule une entreprise minière s’est portée acquéreuse de ce petit bijou de technologie mais Desert Wolf a fait savoir que d’autres ventes étaient en train d’être finalisées en Afrique du Sud. Quand est-ce que la Belgique se dotera elle aussi de cet instrument bien nécessaire ?

Alors, je vous le dis, amis travailleurs de la SNCB, la grève c’est trop fatigant, trop humiliant et bientôt trop dangereux. Allez travailler et acceptez votre condition, ce sera plus reposant !


  1. Les articles de la catégorie « Billet d’humeur » n’engagent que leurs auteurs et ne sont pas des déclarations publiques, officielles et collectives, de l’Union syndicale étudiante. L’Union syndicale étudiante diffuse sur son site l’avis d’étudiants militants qui souhaitent susciter des débats au sein de la gauche étudiante, à l’intérieur autant qu’à l’extérieur de l’USE. ↩︎