Intégration de l’ISTI à l’Université (Libre) de Bruxelles: un processus de fusion antidémocratique vers la création de deux nouvelles facultés
Le saviez-vous ? Les facultés de Philosophie et Lettres et de Sciences sociales et politiques ont disparu ! Malgré l’opposition du département de Philosophie et la contestation importante de la délégation étudiante, au niveau du BEA comme au niveau facultaire, le Recteur a permit d’entériner le découpage de la Faculté de Philosophie et Lettres pour la rentrée 2015.
L’Institut de Traducteurs et Interprètes (ISTI) et la section Traducteurs et Interprètes de l’Institut Cooremans ont été rattachés à l’ULB, suite au décret « Paysage » du ministre Marcourt. Ils vont fusionner avec les départements de Langues et de Communication de l’ancienne Faculté de Philosophie et Lettres (Philo), fondant ainsi la nouvelle Faculté de Lettres, Traduction et Communication (LTC). Les autres départements de Philosophie et d’Histoire fusionnent quand à eux avec l’ancienne Faculté de Sciences sociales et politiques (FSP), pour fonder la nouvelle Faculté de Philosophie et Sciences sociales (PHISO). Tel fut le seul et unique scénario d’intégration qui fut envisagé, et imposé (par le Recteur) aux étudiant.e.s, chercheur.euse.s, professeur.e.s et travailleur.euse.s, alors qu’il y avait d’autres possibilités qui auraient pu préserver les anciennes facultés de Philosophie et Lettres et de Sciences sociales et politiques, ainsi que le bon encadrement pédagogique de l’ISTI et de Cooremans.
Le processus de décision ne fut qu’une mascarade démocratique pendant tout le courant de l’année dernière, où le Recteur imposa son projet au Conseil d’Administration (CA), qui définit par la suite l’agenda aux Conseils facultaires (on se demande où se trouve l’ « autonomie facultaire » promue par la réforme de la gouvernance), pour ensuite aboutir à des « assemblées constituantes » qui se sont réunies durant les mois de mai et de juin derniers pour officialiser la création des deux nouvelles facultés. Par contre, le projet de fusion se préparait réellement au sein de groupes de travail restreints, dont l’accès était fermé aux représentant.e.s étudiant.e.s. Et bien entendu, les changements à venir ne seraient uniquement d’ordre « structurel », du moins c’est ainsi que les autorités de l’ULB ont tenu à présenter les choses.
La disparition de la Faculté de Philosophie et Lettres est donc une nouvelle étape dans l’évolution néo-libérale de notre Alma Mater, impulsée par le régime de la « gouvernance ». D’ailleurs, on a pu assister à une mise en œuvre flagrante de l’autoritarisme de ce nouveau régime (autour de la personne du Recteur), et des décisions antidémocratiques qui en découlent (ne prenant en compte ni l’avis des étudiant.e.s, ni celui des chercheur.euse.s ou des travailleur.euse.s de l’administration).
On se dirige probablement vers une rationalisation des cours, des cursus et des « ressources humaines », via le principe de l’économie d’échelle : une plus grande uniformisation des types d’enseignement, avec moins de cours et moins de personnel à la clé… afin d’éviter les « doublons » (le cours de philo des 1res en Philo & Lettres pourrait fusionner avec le cours de philo des 1res FSP, mais a-t-on seulement réfléchi dans quel auditoire on mettrait tou.te.s ces étudiant.e.s ?). Il faut également attendre dans les années à venir des non-remplacements de départs à la retraite, et des suppressions de mineures et de masters… Il ne s’agira ni plus ni moins que d’une deuxième grande réforme des programmes de cours, comme l’avait connu l’ancienne Faculté de Philosophie et Lettres en 2009 (avec la suppression de plus de 400 cours), mais celle-ci se fera sur le long terme (l’intégration des traducteurs-interprètes s’effectuera en effet à travers un cadre d’extinction jusqu’en 2019). Sans oublier que pour les étudiant.e.s de l’ISTI ou de Cooremans, non-seulement leur minerval va désormais augmenter (comme pour toute autre Haute-École qui rentre dans une structure universitaire), mais c’est également tout leur modèle pédagogique en traduction-interprétation qui va être mis à mal (avec leur taux d’encadrement par étudiant.e très élevé, et qui risque de ne pas être maintenu).
Il y a également le danger de voir une plus grande professionnalisation de nos cursus, comme étant le seul objectif des autorités de l’ULB, où la diversité des filières de recherche et d’enseignement ne serait pas « rentable », où la connaissance se suffit à elle-même, et où le savoir est considéré comme une valeur marchande mais non comme un moyen d’émancipation.
Les déclarations des autorités de l’ULB vont clairement dans ce sens. Par exemple, lors de la rentrée académique 2014-2015, le Recteur Didier Viviers présenta la fusion de l’intégration de l’ISTI comme une opportunité pour l’ULB : « (…) qui sera ainsi, dès la rentrée prochaine, le plus grand centre d’enseignement de langues de la Communauté française de Belgique, au cœur de la capitale de l’Europe, manifestant une fois encore notre volonté de participer pleinement aux grands enjeux européens par nos formations et le profil même de notre Université. ». On peut aussi trouver un aveu intéressant dans un interview du président du CA, Éric De Keuleneer, dans le journal LeSoir du 6 novembre 2014 : « (…) le nombre de programmes est trop important par rapport à nos moyens (…). Nous devons d’abord essayer de travailler sur nos moyens et ensuite sur le nombre de filières. Effectivement, nous devons nous demander si nous avons encore la capacité d’offrir toutes les nuances actuelles d’enseignement. »
L’Union syndicale étudiante reconnait que la manière dont s’est produit le démantèlement de la Faculté de Philosophie et Lettres, via l’intégration de l’ISTI et de Cooremans, représente une défaite pour ceux et celles qui s’opposent à la nouvelle orientation managériale de l’ULB, qui ne cesse de s’accélérer depuis la réforme de la gouvernance de 2013 (contre laquelle nous nous étions opposée, prévoyant l’extirpation totale de la démocratie interne de notre université). Nous tenons néanmoins à saluer le courage et la détermination de la délégation étudiante (notamment celle de l’ISTI, ainsi que la DÉPL – Délégation Étudiante de Philo & Lettres – où certains camarades se sont impliqués), pour s’être opposée au projet tout au long de son application, et d’avoir informé les étudiant.e.s des risques de cette fusion. Mais tout n’est pas encore terminé, car les conséquences de la fusion (licenciements de personnel, suppression de cours et de filières, etc.) se feront attendre, et il sera encore possible de lutter contre cela !
Il est plus que temps de rejeter l’idéologie qui prévaut aujourd’hui dans les sphères dirigeantes de l’Université et dans les ministères : celle du processus de Bologne et de la marchandisation de l’enseignement (et de la recherche), de l’austérité et du définancement. Il est aussi grand temps de rejeter l’autoritarisme rectoral et de permettre aux étudiant.e.s, chercheur.euse.s, personnels techniques et administratifs d’avoir leur mot à dire sur leur travail, le rôle qu’on lui donne et le cadre dans lequel il est réalisé. Il nous faut également promouvoir plus que jamais la coopération et la solidarité inter-facultaire contre les visées de « professionnalisation », et défendre le projet d’une alternative viable et intelligente vers un enseignement réellement critique et accessible à tou.te.s.