Lutte pour les retraites : Et la Belgique dans tout ça ?

Alors que nos voisins français sortent massivement dans la rue pour dénoncer une nouvelle réforme néolibérale de leurs retraites, notre gouvernement s’attaque lui à notre droit à une pension décente et pour tous.tes.

Lutte pour les retraites : Et la Belgique dans tout ça ?


Alors que nos voisins français sortent massivement dans la rue pour dénoncer une nouvelle réforme néolibérale de leurs retraites, notre gouvernement s’attaque lui à notre droit à une pension décente et pour tous.tes. En effet, la ministre des pensions, Karine Lalieux (PS) porte une réforme attaquant directement la retraite des femmes et des personnes ayant subi une incapacité de travail de longue durée. Ceci alors que l’âge de départ à la retraite a été allongé à  67 ans sous le gouvernement Michel (MR) tandis que nous vivons en moyenne 63 ans en bonne santé.

La situation actuelle et la réforme

Toute personne qui prendra sa retraite à partir de 2030 devra travailler jusqu'à 67 ans ou avoir une carrière de 45 ans pour pouvoir bénéficier d’une pension complète. La réforme de la Ministre Lalieux ne change rien à ces conditions mais elle s’attaque plutôt aux conditions d’accès à la pension minimum garantie. Alors qu’il fallait auparavant valider une carrière de 30 ans dans laquelle était compris les congés maladie, les congés parentaux,… Il faudra aujourd’hui, en plus, comptabiliser 20 ans de travail effectif en 4/5ème temps pour pouvoir bénéficier de cette pension minimum.

Ce changement est une nouvelle attaque néolibérale envers notre état social comme l’illustre la déclaration du Premier Ministre De Croo (Open-VLD) qui estime qu’il est “logique” de “mieux récompenser le travail”. Seulement, cette logique capitaliste ne tient pas compte de la réalité des personnes subissant des incapacités de travail de longues durée, qu’elles soient dues à des maladies chroniques ou à des problèmes de santé mentale (burn out, dépression,…) toujours plus courants dans notre société. Elle ne tient pas non plus compte du travail de care effectué par les femmes. Travail gratuit qui permet de garder la société debout, ce travail non-reconnu coupe la carrière de la majorité des femmes du pays puisqu’il est difficile d’accumuler travail domestique et emploi à temps plein.

Une réforme sexiste

En effet, 28% des femmes ayant pris leur pension en 2014 ont pu bénéficier d’une pension complète contre 51% des hommes. Un tiers d’entre-elles ne complètent même pas la condition d’une carrière de 30 ans et ne peuvent donc bénéficier de la pension minimum garantie.

Les raisons de ces inégalités sont simples. Dans notre société, ce sont les femmes qui effectuent l’énorme majorité du travail reproductif, à savoir ce qui permet aux travailleurs de renouveler leur force de travail. En d’autres termes, il s’agit des tâches ménagères, de la cuisine, de s’occuper des enfants et des ainé·es… Cela se ressent dans les chiffres : en 2011, il y avait 32 fois plus de femmes au foyer que d’hommes. Près de la moitié des femmes travaillaient à temps partiel contre moins d’un homme sur 10. Ce sont encore les femmes qui effectuent la majorité du bénévolat, une autre forme de travail gratuit (ou très peu rémunéré), dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’humanitaire.

C’est pourquoi cette réforme est profondément sexiste, car cette condition de 20 ans de travail effectif va pousser encore plus de femmes dans la précarité alors même que nombres de dépenses augmentent avec l’âge. En effet, les premières personnes touchées seront celles travaillant à temps partiel qui sont, comme on l’a vu, essentiellement des femmes.  On estime qu’une femme sur 7 bénéficiaire de la pension minimum perdra 440 euros de pension.

Alors que nous sommes dans une époque où la lutte contre les violences faites aux femmes doit être une priorité, le gouvernement veut les priver de l’indépendance économique nécessaire pour pouvoir quitter un ménage violent.

Toujours très peu de reconnaissance de la pénibilité au travail

La grande absente de cette réforme c’est la reconnaissance de la pénibilité du travail et des mesures qui vont avec pour soulager les travailleur.euses au métiers les plus pénibles.

Car, dans le privé, les employeurs empêchent depuis toujours sa reconnaissance. S’il existe, en effet, un régime spécial (RCC) permettant de prendre une retraite anticipée pour les métiers dits “lourds”, il ne prend en compte que les dernières années de carrière et ne considère que très peu de conditions de travail comme pénibles. Hors, les travailleur·euses se voient souvent contraints de finir leurs carrières dans des métiers considérés comme moins pénibles car, justement, leur corps est déjà trop abîmé par des années de travail et ne peuvent bénéficier de ce régime.

Pourtant, le travail de nuit, physique ou répétitif, impacte fortement l’espérance de vie (en bonne santé). Nombre de personnes exerçant ce type d’activités n’atteindront jamais la retraite ou seront trop cassé pour en profiter.

Dans le public, il y a bien des mesures permettant aux travailleur.euses de partir en retraite anticipée. Les métiers dits pénibles sont classés en quatre catégories qui permettent de toucher une meilleure pension et de partir plus tôt à la retraite. Cependant, plusieurs questions se posent. Le fait, par exemple, que policier est considéré comme faisant partie de la catégorie la plus pénible mais que des emplois comme infirmier, éboueur ou enseignant dans le spécialisé ne le soient pas est plus que questionnable.

Les plus précaires n’atteindront pas la retraite (en bonne santé)

Le Belge moyen n’atteint déjà pas la retraite en bonne santé alors qu’elle est encore fixée à 65 ans, pourtant nous devrons bientôt travailler deux ans de plus. Ce constat est déjà très inquiétant et les réalités qui se cachent derrière le sont encore plus.

Car, s’il existe peu de statistiques sur le rapport entre inégalités socio-économiques et mortalité en Belgique, on peut tout de même observer que ces inégalités se traduisent par de plus faibles chances d’atteindre la retraite pour les plus pauvres. Une femme née à Anderlues, par exemple, dans la banlieue industrielle de Charleroi a une espérance de vie inférieure de près de 8 années à une femme née Sint-Martens-Latem dans les beaux quartiers de Gand. On obtient les mêmes résultats en observant l’espérance de vie en rapport avec le niveau d’étude. L’espérance de vie en bonne santé d’un homme  de 25 ans sans diplômes est inférieure à 55 ans quand celle d’un homme avec un diplôme universitaire est de 71 ans.

Cela signifie, qu’en Belgique, les classes les plus pauvres et les plus désavantagées ne verront jamais la retraite ou pour quelques années sans pouvoir en profiter car trop cassées par des années de travail pénible. Alors qu’elles auront cotisées toute une vie pour payer les retraites des plus aisés. Notre système de retraite est, à l’image de notre système politico-économique, un système de classe profitant du capital produit par les travailleur·euses pour payer les pensions des classes privilégiées.

Revoir notre rapport au travail

La détermination de nos camarades français·es doit, aujourd’hui, nous inspirer. Car, nous ne pouvons plus accepter de mourir au travail pour le Capital. Il est l’heure de retrouver un syndicalisme offensif qui se bat pour de nouveaux droits et non, uniquement, pour défendre ceux déjà acquis. Nous ne voulons pas de la retraite à 67 ans, elle est une aberration sociale. Nous voulons des retraites décentes pour tous.tes. Nous voulons également repenser notre rapport au travail.

Sources :

Combien d'années de sa vie le Belge peut-il espérer vivre en bonne santé? Un rapport dévoile des disparités entre les pays européens - La Libre

L’âge de la pension | CGSLB

chiffres cles.pdf (belgium.be)

etude_genre_et_benevolat.pdf (avise.org)

La réforme des pensions est-elle bonne pour les femmes ? - rtbf.be

Pour une réforme de la pension minimum non sexiste (lacsc.be)

La pension minimum à 1500€ nets dès 2023 - Syndicats Magazine

La liste des métiers pénibles est établie - Métiers.be (siep.be)

Les employeurs enterrent la concertation sur la pénibilité dans le secteur privé | CGSLB

FGTB || Pensions : tout savoir sur les pensions en 10 questions

Les inégalités d'espérance de vie (inegalites.be)

https://maisonmedicale.org/wp-content/uploads/2008/03/SC40_c_willems.pdf