L’Union Syndicale Étudiante déplore la venue de Pierre Rabhi à l’ULB
Ce lundi 10 décembre, Pierre Rabhi donnera une conférence à l’ULB sur invitation de l’asbl Émergences. Nous dénonçons l’intervention dans notre université de l’auteur de La sobriété heureuse, dont l’idéologie écologiste individualiste et les méthodes doivent être combattues pour ce qu’elles sont réellement : des manifestations du capitalisme.
Une idéologie individualiste qui invisibilise les causes réelles du changement climatique
Chaque année, les rapports du GIEC se font de plus en plus alarmants, mais sans effet aucun sur les COP successives, dont les seuls résultats sont des promesses peu ambitieuses et surtout jamais tenues de la part des gouvernements signataires. L’urgence d’agir est bien là, et nous sommes de plus en plus nombreux-ses à en être conscient-e-s, comme l’a montré la mobilisation massive lors de la marche du 2 décembre. Face au changement climatique et à la consommation de masse, Pierre Rabhi appelle à « l’insurrection des consciences », accordant un sens tout particulier à ce qu’il entend par “insurrection”. En effet, il prône l’idée que chacun et chacune d’entre nous doit mener « une révolution intérieure » qui permettrait de prendre conscience de l’impact environnemental de ses actions et changer son mode de vie en conséquence. Une insurrection individuelle, donc, et qui ne remet en rien en cause les rapports de domination inhérents au capitalisme.
Rappelons que c’est bien ce dernier qui est à l’origine du changement climatique, depuis au moins la révolution industrielle. En réalité, nous n’avons que peu de choix de consommation entre des produits « de qualité » et moins destructeurs pour le climat, mais plus chers – et donc accessibles seulement aux plus riches d’entre nous – et les autres produits. Mais plus que la consommation individuelle, c’est bien la production industrielle qui est la principale émettrice des émissions de gaz à effet de serre (GES) : le Guardian rapportait récemment que, depuis 1988, 100 multinationales seulement sont responsables de 70 % des émissions de GES¹.
Une idéologie individualiste qui renforce les rapports d’exploitation
Ne pas remettre en cause le système capitaliste, et affirmer comme Rabhi que « la source du problème est en nous. Si nous ne changeons pas notre être, la société ne peut pas changer », c’est donc reporter la responsabilité du changement climatique (voire même des inégalités sociales), sur chaque individu. Non seulement c’est une erreur, comme nous venons de l’exposer, mais c’est aussi un raisonnement pervers. En effet, nous ne sommes pas égaux/égales face à nos choix de consommation, notamment en fonction de notre classe sociale. Ainsi, la pensée individualiste, en attribuant la cause du dérèglement climatique à tout·e un·e chacun·e, soumet les populations à la fois les plus précaires et les plus touchées par cette crise² à l’obligation morale d’agir en changeant leur comportement. Or, ces populations ne disposent pas des biens matériels (ni culturels) pourtant indispensables pour se permettre le luxe de s’émanciper des comportements auxquels le système les soumet, de sorte que l’opprobre, plutôt que de porter sur la classe dominante, porte sur la classe dominée.
De plus, nous n’avons pas le même impact politique en fonction de notre classe sociale. Ce sont les dominants, les chefs d’État et les ministres, les directeurs des multinationales, les financiers… qui concentrent le pouvoir économique et politique – mais qui profitent aussi le plus du capitalisme tel qu’il existe actuellement. Il est donc nécessaire de renverser le rapport de force (voir le dernier paragraphe de cet article).
Des idées conservatrices
Outre cette idéologie individualiste et sa négation des causes capitalistes du changement climatique, Rabhi est également proche de penseurs conservateurs ou d’extrême droite. Il a longtemps échangé des lettres avec enthousiasme avec ses mentors pétainistes, comme le montre Jean-Baptiste Malet dans ses articles au Monde Diplomatique³. De plus, il préfère la « complémentarité » à l’égalité entre les genres : « que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse »⁴. Il considère donc la famille homoparentale « dangereuse pour l’avenir de l’humanité », il a publiquement pris position contre le mariage pour tous en France, et ses deux fils sont proches des milieux d’extrême droite. Il nous semble donc important d’informer la communauté étudiante et le public de la conférence en question sur les idées réelles de Rabhi. L’USE s’insurge qu’un homophobe aussi influent se voie offrir une tribune de plus, et ce au sein-même de l’ULB, qui consacrait l’année 2016-17 à la diversité.
Gourou, charlatan ou exploiteur ?
Le portrait de Rabhi ne s’arrête cependant pas à un conférencier conservateur, sexiste, homophobe et prônant des méthodes individualistes. Il aime se présenter en poète, mais également en expert en agronomie, et cette dernière étiquette tend passablement vers l’imposture. En agriculture, il a donné des cours à des paysans au Burkina Faso, avant de fonder une ferme associative en Ardèche (France). Aux deux endroits, il utilise des méthodes dépassées et parfois ésotériques, ou qui n’ont jamais prouvé leur efficacité. Ces méthodes sont notamment issues de l’anthroposophie, une philosophie controversée et considérée comme sectaire⁵. Ainsi, la ferme associative où il exploite chaque année des centaines de bénévoles qui paient grassement leur séjour ne fonctionne que difficilement et est loin de fournir les surplus que l’on attend de l’agriculture.
De plus, l’auteur de La Sobriété heureuse a des revenus plus que confortables – ce qui entre en contradiction avec les valeurs que prône le personnage, et qu’il inculque à ses audiences, souvent moins bien loties que lui. Ces revenus sont issus des droits d’auteur de ses multiples best-sellers, des nombreuses donations et droits d’inscription des membres de ses associations, et des nombreuses conférences onéreuses dans lesquelles il intervient chaque année – celle-ci ne fait pas exception, le PAF étant fixé à 15€. Il ne reverse pas de partie de cet argent aux associations associées à ses idées, mais il n’investit pas non plus dans sa literie (il affirme dormir sur une natte posée au sol), et il prend le thé avec des millionnaires et des PDG, pour parler « de conscience à conscience »⁶. Drôle de « sobriété » – « heureuse », on s’en doute.
La mobilisation collective comme mode d’action gagnant
On comprend dès lors que cet auteur ne remette pas en cause le capitalisme. C’est que lui aussi profite confortablement de ce système économique, notamment en capitalisant sur les mauvaises conditions de vie des classes les plus précaires dues à ce même système, et sur les dégâts qu’il cause à la planète. Mais si ce n’est pas la responsabilisation individuelle à la Rabhi qui permettra de répondre au changement climatique, quelles solutions ? D’abord, sur la question climatique, une amélioration significative ne peut se produire que si tous les pays se concertent, s’engagent et mettent en application ces engagements. Ainsi, avec le Protocole de Montréal en 1987, la communauté internationale a interdit la production de CFC, les gaz à l’origine du trou dans la couche d’ozone. Depuis, le trou a commencé à se résorber. Certes, les décisions à prendre ici sont bien plus nombreuses et complexes qu’alors. Ensuite et surtout, on l’a vu historiquement, ce n’est que grâce à des mobilisations de masse, des manifestations, des grèves, qui s’organisent par le bas, que l’on a pu obtenir de grandes avancées sociales (par exemple, la réduction du temps de travail, les congés payés, le droit de vote des femmes…). A l’opposé des actions individuelles à la Rabhi, ce sont ces méthodes-là que nous prônons et mettons en œuvre à l’USE.
Alors, plutôt que de mourir d’épuisement comme le colibri à la fin de la fable frelatée de Rabhi, organisons-nous!
- Voir leur article du 10 juillet 2017.
- Voir notamment les points 3 et 4 de cet article.
- J.-B. Malet, “Le système Pierre Rabhi”, Le Monde diplomatique, août 2018 et J.-B. Malet, “Retour sur ‘Le système Pierre Rabhi’ ”, Le Monde diplomatique, novembre 2018.
- « Pierre Rabhi : “Le féminin est au cœur du changement” », Kaizen,28 mai 2018.
- Pour plus de précisions, nous vous renvoyons aux articles de J-B Malet cités plus haut.
- Idem.